Enjeux pour les
seniors de demain.
Comment concilier la viabilité financière des
maisons de repos et la qualité de vie qui y est proposée aux
seniors ? Comment augmenter les standards minimums de qualité de vie en
maison de repos sans que le prix du loyer n’explose ? Est-ce
possible ou cette belle idée reste-t-elle teintée d’utopisme ? De
nouvelles normes, plus exigeantes, sont en préparation au sein de la Cocof, à
Bruxelles. Mais avec quelles conséquences sur le prix de l’hébergement ? Analyse
en compagnie des acteurs du secteur.
De nos
jours, en Belgique, rares sont les gens qui ne connaissent personne vivant en
maison de repos. C’est une réalité de notre société. C’est une conséquence
combinée de l’allongement de l’espérance de vie et du vieillissement de la
population. De même, la moyenne d’âge des personnes qui entrent en maison de
repos a aussi tendance à augmenter.
En
Belgique, la gestion des maisons de repos est soumise à de multiples
conditions. Une des plus importante d’entre elle est l’agrément régional. Pour
l’obtenir, le gestionnaire doit constituer un dossier détaillé qui comprend entre
autre un plan financier, un plan des lieux en conformité avec les normes
architecturales, ou encore un exemplaire du projet de vie qui sera développé au
sein de la maison de repos. Cet agrément est valable pour une période de six
ans. Chaque année, au moins une inspection est effectuée pour vérifier si les
normes en vigueur sont toujours respectées.
A Bruxelles,
les maisons de repos dépendent de la Cocof, de la Cocom ou de la Communauté
flamande. Pour la Cocof, les normes en vigueur dans la capitale datent de
décembre 1993. L’évolution de la société rend plusieurs de ces normes
obsolètes. Si des mises à jour ont été décidées, le cadre de base nécessitait
une sérieuse réforme. Ainsi, les inspecteurs des maisons de repos de la Cocof,
qui sont les témoins sur le terrain des réalités du secteur, sont chargés de
rédiger de nouvelles normes. Comme l’explique Guy Lefevre : « Nous travaillons sur les arrêtés
d’application du règlement qui va être remplacé par décret. Il est évident que
certaines normes sont complètement dépassées. Par exemple en ce qui concerne
l’architecture et l’espace minimum dévolu à chaque résident. Jusque là, il y
avait des dérogations mais maintenant ce ne sera plus possible. On considère,
par exemple, que les chambres simples doivent faire au moins 12 mètres carrés.
On travaille aussi sur un minimum pour les espaces de vie commune. »
Les normes
à respecter sont nombreuses et diverses. Cela va du règlement d’ordre intérieur
aux normes concernant l’hygiène, la nourriture et les soins de santé, en
passant par la qualification du directeur et du personnel ou encore par les
normes architecturales de sécurité, de sanitaire et des espaces de vie. Guy
Lefevre poursuit : « Jusqu’il y
a peu, beaucoup de maisons de repos étaient installées dans des bâtiments qui
n’avaient pas été conçus pour ça. Dans des hôtels de maîtres, par exemple.
C’est vrai que le cadre était agréable mais au niveau fonctionnel, c’était
souvent très en dessous des normes. Sans parler de la sécurité en cas
d’incendie. Actuellement, on va vers des normes plus contraignantes. Il est
clair que des investissements vont devoir être réalisés dans beaucoup de
maisons de repos pour répondre aux nouvelles normes qui devraient voir le jour
cet automne. »
Voilà le
nœud du problème. Ces nouvelles normes indispensables vont entraîner, dans
toute une série de cas, des travaux de mises en conformité. Qui dit travaux dit
dépenses. Or, dans ce secteur économique à forte connotation sociale, la
rentabilité financière est souvent difficile à atteindre. Patrick Scheyven,
co-directeur de la Résidence Porte de Hal
en témoigne : « La gestion
financière d’une maison de repos n’est pas facile tous les jours ! En ce
qui nous concerne, nous avons du procéder à des travaux, il y a quelques
années. Je vous assure que j’ai dû batailler avec mon conseil d’administration
pour leur faire comprendre que je ne pouvais décemment pas faire plus
d’économies. C’aurait été au détriment du service et de la qualité de vie que
nous offrons à nos résidents. Nous avons dû nous résoudre à indexer nos prix
comme le ministère de l’économie nous y autorise. La Résidence a la chance d’être
soutenue financièrement par la Société Philanthropique, sinon, je ne sais pas
comment nous ferions. »
Nouvelles normes donc
forcément augmentation de loyers ?
Tous les
acteurs du secteur en conviennent, ces nouvelles normes sont nécessaires. Par
contre, ils soulignent que cela risque d’entraîner de nombreuses augmentations
de loyer à charge des personnes âgées. En dehors des subventions octroyées par
l’Inami pour couvrir une partie des dépenses occasionnées par la partie
médicale, le secteur ne bénéficie d’aucune aide extérieure spécifique. En ce
qui concerne l’Inami, l’intervention est calculée sur base de critères précis
comme le nombre de personnel soignant, lui-même déterminé par le nombre de
résidents et de leur état physique et mental. En dehors de cette aide, les
gestionnaires de maisons de repos doivent composer avec leur seule autre source
de financement, à savoir le loyer payé par les personnes âgées. Pour éviter
tout abus, le prix demandé doit être accepté par le ministère fédéral de
l’économie. Françoise Marlier, en charge de ce contrôle, explique :
« Nous avons un rôle de protection
du consommateur. Il faut que la concurrence puisse jouer mais il ne doit pas y
avoir de fossé trop grand entre les maisons de repos et surtout, il faut
veiller à ce qu’il n’y ait pas d’abus. Pour pouvoir augmenter le loyer, le
gestionnaire doit présenter un dossier qui démontre les investissements et les
dépenses auxquels il a dû consentir. Cependant, depuis août 2005, nous avons
simplifié la procédure d’indexation qui ne doit plus faire l’objet que d’une
simple notification. »
La
situation est donc un peu paradoxale. Pour garantir de meilleures normes dans
les maisons de repos, et donc une qualité de vie améliorée, il est presque
obligatoire d’augmenter le loyer des chambres. « C’est le revers de la médaille » déclare Marie-Pierre
Delcourt, directrice de Infor-Homes à Bruxelles. « C’est vrai que c’est une situation compliquée. D’une part, on améliore
la qualité de vie et d’autre part, on rend plus difficile l’accès aux maisons
de repos. De plus en plus de personne âgées doivent solliciter une aide du CPAS
pour pouvoir simplement payer le prix de leur chambre et de leurs soins. »
Selon une étude des mutualités chrétiennes, il y aurait environ un tiers de
seniors qui seraient aidés financièrement par leur famille et un second tiers
qui dépendrait en partie ou en totalité de l’aide publique.
Or la
situation ne va pas s’améliorer. Patrick Scheyven : « L’indexation des pensions est moins rapide
que l’indexation des prix d’hébergements. Le fossé risque de se creuser. Le
CPAS ne va pas pouvoir prendre en charge un nombre illimité de gens. »
Pourtant, le
vieillissement de la population est une réalité inéluctable. D’après l’étude
réalisée par les mutualités chrétiennes en mai 2005, le nombre de personnes qui
vont vivre en maisons de repos va croître de façon importante. En 2020,
l’augmentation sera environ de 30% par rapport à l’an 2000 et de près de 50% en
2030. Il faudra alors beaucoup plus de places disponibles. Actuellement, les listes d’attente sont déjà légion.
Importance de l’équipe
paramédicale
Grâce aux
aides à domicile, les seniors ont la possibilité de rester chez eux pendant
longtemps avant de se résoudre à entrer en maison de repos. Comme l’explique
Guy Lefevre : « Les gens arrivent en
maisons de repos de plus en plus tard. En fait, les personnes âgées et leur
entourage ont tendance à retarder ce passage au maximum ce qui a comme résultat
que souvent ces personnes âgées arrivent dans un état physique plus très
brillant et sont, au début du moins, relativement dépendantes de l’encadrement
médical et paramédical de la maison de repos. » Trop souvent encore,
la maison de repos est vue comme la dernière demeure et n’a pas une image très
positive.
Cette
mauvaise réputation de la maison de repos peut s’expliquer. Dans l’esprit des
seniors, l’amalgame est encore souvent fait avec les hospices d’antan qui
tenaient surtout du mouroir. De plus, il est vrai que le travail des aides à
domicile est précieux. D’une part, le coût de ces services reste plus abordable
pour les personnes âgées et pour la société en général. D’autre part, il permet
aux personnes âgées de rester dans leur environnement, dans un quartier
qu’elles connaissent et dans une communauté à laquelle elles appartiennent. Les
personnes qui ont la possibilité de rester chez elle gardent une vie sociale,
ce qui devient plus problématique en maison de repos. Il s’agit ici d’un débat
sur la place de la personne âgée dans notre société et de savoir comment intégrer
les résidents de maisons de repos dans la vie sociale. Ceci dans le but d’en
finir avec les maisons de repos dans lesquelles la personne âgée est placée,
plus ou moins avec son consentement, et où elle n’a plus de rôle social
gratifiant.
Cependant,
Patrick Scheyven, abonde dans le sens de Guy Lefevre. « Effectivement, par crainte ou par envie de
rester chez eux le plus longtemps possible en profitant des services d’aide à
domicile, il arrive que des personnes âgées tirent trop sur la corde et arrivent
chez nous diminuées physiquement. Il est alors important de les prendre en
charge et de les faire suivre spécialement par l’équipe paramédicale de kiné et
d’ergothérapeute pour leur permettre d’atténuer les petits handicaps de l’âge.
Et puis, il ne faut pas sous-estimer la problématique de la solitude et de
l’isolement des seniors. D’où l’importance de créer un environnement agréable
et valorisant en maison de repos. Après tout ils y sont chez eux ! ».
Marie-Pierre Delcourt met aussi en avant l’importance de l’équipe paramédicale.
Infor-Homes participe à l’élaboration des nouvelles normes et tient à
promouvoir le travail des kinés et des ergothérapeutes. « Il est important de prendre la personne âgée
dans sa globalité. L’accompagnement doit être pluridisciplinaire et pas
uniquement médical. Lui offrir des activités est primordial. Il faut que la
personne âgée se sente valorisée dans son environnement. D’autant que la
tendance actuelle est de construire des maisons de repos avec de très grande
capacité d’accueil, entre autre pour essayer de maîtriser les coûts. Dans ce
contexte, les activités proposées par les ergothérapeutes et les animateurs
sont d’autant plus importantes. Elles permettent aux résidents de ne pas être
noyé dans la masse et de ne pas être qu’un numéro. Ca recrée le tissu social au
sein de la maison. »
Marie-Pierre
Delcourt souligne aussi l’importance du projet de vie. Ce document fondamental
est rédigé de manière collégiale par la direction, le personnel soignant et les
résidents. Il expose les besoins et les désirs des résidents ainsi que les
actions mises en œuvres par la direction et le personnel pour atteindre ces
objectifs. Ce document est indispensable pour obtenir l’agrément obligatoire
pour gérer une maison de repos. Marie-Pierre Delcourt : « Le projet de vie est réellement quelque
chose de très important ! Une maison de repos, ça ne s’improvise pas, ça
se construit dans tous les sens du terme. Le projet de vie décrit la
culture de travail de la maison. C’est la base de tout le reste. Ca doit vraiment
être le ciment qui unit l’équipe. Idéalement, le projet de vie devrait être le
facteur de choix le plus important dans le choix d’une maison de repos tant
pour la personne qui va y vivre que pour celle qui va y travailler. »
L’avenir n’est
pourtant peut-être pas aussi sombre qu’il parait. Il existe des solutions. Guy
Lefevre lance quelques pistes : « Une
des premières choses à faire serait peut-être de collaborer davantage entre
maison de repos. Par exemple pour les activités extérieures, pourquoi ne pas
s’associer avec d’autres maisons pour réduire les coûts de location d’un
autocar ? Pourquoi ne pas s’arranger pour prendre en charge en commun les
frais d’un spectacle ? En France, les maisons de repos se regroupent.
Elles se spécialisent suivant les spécificités et les pathologies des gens
qu’elles accueillent. Peut-être pourrions-nous nous inspirer en partie de ce
modèle. »
D’une
manière générale, la plupart de nos interlocuteurs sont critiques vis-à-vis de
l’inertie politique. Ils sont en tout cas d’accord sur une chose. La situation
nécessite certainement une vision globale plus efficace et peut-être par-dessus
tout une perspective sur le long terme. Sans doute y a-t-il matière à débat
pour nos prochains ministres.
Bruno Van
Dam